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La Fonderie de Ruelle à Ruelle sur Touvre en 1869 (suite)

L’apparition des premiers navires cuirassés d’une part, des premiers canons rayés de l’autre, a été pour l’artillerie de marine, nous l’avons dit, le signal d’une véritable révolution. Les conditions de la guerre maritime se trouvèrent tout à coup modifiées jusque dans leurs bases. Il fallut augmenter non-seulement la portée du tir des canons, mais encore leur puissance, en les rendant capables de lancer des projectiles beaucoup plus gros.

On ne se contenta pas de rayer les bouches à feu, on dut encore leur donner des calibres beaucoup plus forts. Mais en même temps qu’on reconnais sait cette double nécessité, On voyait surgir en foule des difficultés de tout genre. Les pièces devinrent plus massives, partant plus encombrantes, et d’une manœuvre plus pénible que par le passé. D’un autre côté, plus les canons étaient gros, plus leur fabrication devenait malaisée, plus il devenait difficile de donner au métal la cohésion, la ténacité nécessaires pour qu’il pût résister à la force explosive de la poudre. De là, toute une série de problèmes qui se déduisaient les uns des autres avec une effrayante complication, et sur lesquels eut à s’exercer la fécondité des inventeurs. Pour simplifier la manœuvre des pièces, on imagina le chargement par la culasse , pour augmenter leur résistance, on fit entrer dans leur composition un métal plus dur que ceux qui avaient servi jusqu’alors : l’acier, qu’on employa soit seul, soit concurremment à la fonte. Mais ce n’étaient la que des solutions générales ; il restait à en rendre l’application possible dans la pratique.

Comment, par exemple, obtenir une fermeture de culasse hermétique et d’un maniement facile ° Dans quelles proportions et de quelle manière fallait-il employer les différents éléments entrant dans la construction des canons ? — A ces questions s’en joignaient d’autres d’un ordre différent. On était d’accord, par exemple, sur l’augmentation de puissance résultant de la rayure, mais quel était, à cet égard, le système le meilleur ? — Les rayures devaient-elles être plus ou moins profondes, plus ou moins larges, plus ou moins inclinées sur l’axe de la pièce ? Fallait-il en arrêter le nombre à trois, ou à quatre, ou à huit, ou à soixante et plus, comme le proposaient certains inventeurs ? — Mêmes incertitudes en ce qui concernait les projectiles : ceux-ci devaient-ils être massifs ou creux et explosibles , sphériques, cylindriques ou coniques? — Autant de problèmes, autant de milliers de systèmes différents, tous préconisés avec un égal acharnement par leurs alltetl TS.  Cependant, la nécessité se montrait urgente, pour toutes les puissances militaires, de transformer au plus vite leur armement. Aussi, les expériences se poursuivirent-elles sans relâche de tous côtés. Il faudrait des volumes pour faire seulement la nomenclature de tous les systèmes qui furent successivement mis à l’épreuve , ce qui s’est dépensé de millions, depuis dix ans, pour faire ces coûteux essais, pour construire a grands frais des spécimens de canons et de projectiles qui, à peine mis à l’épreuve, étaient reconnus défectueux, est incalculable. Aujourd’hui même, il s’en faut de beaucoup encore que l’on ait atteint la perfection; mais on a pu, du moins, réaliser de notables progrès. La France, en particulier, s’est arrêtée à un système que les résultats permettent de considérer comme un des meilleurs qui existent jusqu’a présent. Ce système, dont l’adoption date de 1864, a été, en 1866, l’objet de quelques modifications tendant à le perfectionner encore : depuis cette époque, il est devenu réglementaire pour tous les canons destinés à agir contre des navires cuirassés.

Ces canons, d’ un modèle identique pour tous les calibres, sont rayés et se chargent par la culasse , ils sont en fonte, mais renforcés sur le tiers environ de leur longueur par des cercles ou frettes en acier, qui en augmentent considérablement la solidité. Les calibres, au nombre de quatre, sont de 16, 19, 24 et 27 centimètres. Les pièces de ces différents échantillons pèsent de 5 000 à 22.000 kilogrammes , elles lancent des projectiles du poids de 31 à 216 kilogrammes; la portée de leur tir varie de 1 à 8 kilomètres. Nous donnerons plus loin quelques détails sur la rayure et sur le mécanisme au moyen duquel s’opère la fermeture de la culasse; en attendant, revenons à la fabrication en elle-même, dont nous allons pouvoir suivre toutes les phases, grâce aux explications préliminaires qu’on vient de lire. De ces différentes phases, par lesquelles la matière passe successivement, la première est la coulée de la partie centrale, qui doit former le corps même de la pièce, et qui, comme nous venons devoir, est en fonte. Mais avant de procéder à la coulée, il a fallu déterminer exactement le choix des éléments entrant

dans la composition de la fonte a employer. Ce choix est une des parties les plus délicates de l’art du fondeur, une de celles qui exigent le plus de tact et le plus d’expérience. Les propriétés du métal, sa dureté, sa ténacité, dépendent en effet, on le sait, d’une foule de conditions qui varient à l’infini. Or, si dans toutes les industries qui font usage de la fonte la connaissance exacte de ces propriétés est une question capitale, qu’on juge de l’importance qu’elle acquiert, lorsqu’il s’agit de fondre des pièces d’artillerie, où le métal doit être soumis à des chocs d’une violence énorme, et où le moindre dé faut de résistance peut avoir les conséquences les plus graves. Les fontes employées à Ruelle se divisent en deux catégories générales : les unes sont produites à l’usine même, dans les hauts-fourneaux qu’elle possède, les autres viennent du dehors. Pour s’assurer que ces dernières réunissent toutes les qualités requis s, on les soumet, après un examen préliminaire, à une épreuve qui a lieu de la manière suivante : on fond, avec une certaine quantité du métal composant le lot à recevoir, un canon d’ancien modèle, du calibre de 30, puis on soumet ce canon à un tir forcé, en portant progressivement la charge de 1 à 8 kilogrammes de poudre, et de ºun à treize boulets. On continue le tir jusqu’à éclatement, et le lot de fonte n’est accepté que si la pièce a supporté une série de soixante cinq coups au moins sans rupture. Ces essais, qui portent le nom d’épreuves à outrance, ont lieu dans un champ de tir annexé à l’usine. Voyons maintenant comment le métal est mis en œuvre, et pour cela, rendons-nous à l’atelier de la fonderie. Nous sommes dans une vaste halle couverte; dans la partie la plus voisine de l’entrée, des ouvriers sont occupés a confectionner les moules destinés à recevoir la fonte liquéfiée , au fond, la muraille s’arrondit en rotonde; d’étroites ouvertures, d’ou jaillissent des éclairs d’une lumière étincelante, indiquent la présence des fours à réverbère dans lesquels s’opère la fusion du métal , en fin, une énorme grue dessine au centre de l’atelier ses formes massives. En avant de la muraille demi circulaire, autour de laquelle viennent s’ouvrir les fours, est creusée une fosse, également demi-circulaire, qui s’enfonce à une profondeur de sept mètres dans le sol, et où l’on dépose les moules.

Quant aux fours, ils sont adossés à la paroi extérieure de la halle, et accouplés deux à deux : il y en a huit en tout, et chacun d’eux reçoit une charge de trois mille kilogrammes de métal. Il entre toujours, dans la composition de cette charge, outre les fontes de première fusion du commerce et celle de l’usine, une certaine proportion de fragments provenant, soit de vieux canons hors de service, soit des débris produits à la forerie. Ils sont chauffés à la houille et conduits assez vivement pour que la liquéfaction du métal soit complète au bout de cinq heures environ. Les moules sont confectionnés en sable, au moyen de modèles en bois construits dans un atelier de menuiserie dépendant de la manufacture. Ces modèles, qui représentent exactement le canon à couler, sont divisés en tronçons plus ou moins nombreux, suivant la force des pièces : chaque tronçon est posé verticalement au centre d’un châssis de fonte servant d’enveloppe au moule ; puis le sable est versé entre ce châssis et le modèle, et fortement serré, au fur et a mesure de son

introduction, par des ouvriers qui le tamponnent au moyen de fouloirs en bois.

L’opération terminée, les tronçons de moule ainsi préparés séjournent pendant quarante-huit heures dans des étuves où ils se débarrassent de toute humidité; puis ils sont raccordés les uns aux autres et solidement assujettis au moyen de boulons qui s’adaptent au châssis. Le moule est alors complet; on l’enlève au moyen de la grue, qui le dépose verticalement dans la fosse au devant des fours , la, on les garnit de deux tuyaux recourbés ou siphons, adaptés l’un à la partie inférieure, l’autre à la moitié environ de la hauteur, et qui communiquent avec les rigoles donnant accès au métal en fusion.

La longueur du moule dépasse toujours d’un quart environ celle que doit avoir la pièce. Cet excédant forme à la partie supérieure une sorte de réservoir dans lequel viennent s’emmagasiner toutes les impuretés que la fonte entraîne à sa surface. Le canon, lorsqu’il est retiré du moule, présente donc un prolongement, ou masselotte, qui doit être abattu avant le forage.

L’opération du moulage s’est notablement simplifiée par suite de la forme donnée aux nouveaux canons. Ceux-ci étant a culasse mobile et frettés, et l’une des frettes portant les tourillons, on n’a plus besoin, comme autrefois, de rapporter sur le châssis principal d’autres châssis articulés contenant les moules des tourillons et du boulon de culasse. Le problème se réduit à couler un cylindre légèrement conique, dont la surface n’est plus compliquée par aucune saillie.

Pendant fort longtemps, on coula les canons de manière à obtenir un cylindre plein, dans lequel le foret creusait ensuite l’âne de la pièce.

Aujourd’hui, on est revenu au moulage dit à noyau : une tige enduite de terre réfractaire est dressée au centre du moule, de manière a réserver au centre de la masse métallique un espace vide que le foret n’a plus qu’à régulariser; ce procédé n’a pas seulement pour résultat de simplifier le travail de l’alésage , on lui attribue, en outre, l’avantage de donner à la pièce une solidité plus grande dans la région qui avoisine l’âme, toute la zone qui environne le noyau se trouvant, en effet, soumise à un refroidissement plus prompt que les autres parties, et acquérant, par suite, une dureté et une ténacité plus grandes. Lorsque la liquéfaction du métal dans les fours est arrivée à son terme. une sonnerie de cloche avertit que tout est prêt, et que la coulée va avoir lieu. A la porte de chacun des fours, et sur le parcours du canal qui doit conduire aux moules le métal en fusion, sont postés les ouvriers fondeurs, coiffés de chapeaux de forme bizarre, dont les larges bords, rabattus en guise d’écrans, doivent protéger leur visage contre le rayonnement intense de la chaleur, les uns portent la quenouillette, longue tige de fer recourbée, et terminée par un cône de terre réfractaire, qui doit servir à modérer le jet de fonte à la sortie du four; d’autres sont armés de pelles pour guider, dans son cours, le ruisseau de feu, et pour arrêter les scories au passage.

Sur un signal donné par le chef d’atelier, on perce la paroi du four , la fonte, liquide, blanche d’incandescence, jaillit par l’ouverture et coule comme un ruisseau de lave, en illuminant le vaste atelier de lueurs rouges comme les reflets d’un incendie. –

Au bout de trois à cinq jours, selon la grosseur de la pièce, les moules sont retirés de la fosse, et le canon est débarrassé du châssis qui l’entoure , il n’est alors qu’un long cylindre de fonte, qui, après un séjour plus ou moins prolongé dans les parcs de la fonderie, est transféré a la forerie.

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