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La Fonderie de Ruelle à Ruelle sur Touvre en 1869

Ruelle est située près d’Angoulême, sur la route de Limoges, au bord de la Touvre, belle rivière dont les eaux limpides coulent paisiblement dans un lit large et peu profond, et fournissent à l’usine la force nécessaire pour mettre en mouvement ses machines. La Touvre prend sa source à trois kilomètres seulement au-dessus de Ruelle; elle sort brusquement d’un gouffre situé au pied d’une colline abrupte, que couronnent les ruines d’un ancien château-fort connu dans le pays sous le nom de château de Ravaillac. Ce gouffre, sorte de bassin demi-circulaire, se creuse en entonnoir du fond duquel les eaux jaillissent, en produisant à la surface un cercle bouillonnant. Si l’on en croit certains indices, ces eaux ne seraient autres que celles de deux rivières, le Bandiat et la Tardouère, qui s’enfouissent entre les rochers à une certaine distance, et qui, dit-on, reparaîtraient au pied de la colline de Ravaillac après un parcours souterrain de quelques lieues. Quoi qu’il en soit, le cours de la Touvre est d’une remarquable régularité , la rivière ne tarit ni ne déborde jamais, et sa force motrice, qui s’élève au maximum à 415 chevaux, ne descend jamais au-dessous de 127 chevaux par les sécheresses les plus prolongées. Aussi cette force suffit-elle aux besoins de la fonderie, qui a pu se passer jusqu’à présent du secours de la vapeur. ”

Ce n’est pas là le seul avantage que Ruelle tire de sa situation. Vastes forêts fournissant en abondance le combustible nécessaire aux opérations métallurgiques ; carrières de sable propre au moulage; gisements ferrugineux produisant des minerais d’excellente qualité, l’usine trouve dans les environs la plus grande partie des matières qu’elle emploie. Certes, il est peu d’établissements industriels aussi heureusement dotés. Aussi n’est il pas étonnant que dès le siècle dernier, une situation aussi favorable ait attiré l’attention d’un ingénieur en quête d’un emplacement propre à la fondation d’une usine de ce genre.

Turgan, qui a consacré au sujet qui nous occupe une place importante dans son intéressant recueil (1), nous apprend, en effet, que « vers le milieu du dix-huitième siècle, le marquis de Montalembert , lieutenant – général de Saintonge et d’ Angoumois, acheta aux sieurs André de la Tâche et Jean-André de la Boissière, un moulin à papier qu’ils vendirent pour une rente perpétuelle de trois cent soixante-cinq livres Sur l’emplacement du moulin à papier, le marquis fit établir une forge pour la fonte de gros canons. Autorisé par des lettres patentes de 1751, il obtint en 1752 un arrêt qui lui permettait de couper, en neuf années, dans la forêt de Braconne, située au nord-est de Ruelle, 4,800 arpents de bois , puis, trois ans plus tard, avec les formes un peu sommaires de l’époque, le gouvernement s’empara brusquement de la fonderie, et, pendant seize ans, M. de Montalember ne put obtenir la reconnaissance de sa propriété.

Le 20 septembre 1772, on admet qu’il est propriétaire, mais on lui impose d’affermer sa fonderie à l’État moyennant vingt mille livres de rente, plus une somme pour le passé. Deux ans plus tard, le comte d’Artois achète au marquis les fonderies de Ruelle et celle de Forge-Neuve au prix de trois cent mille livres, dans lesquelles le mobilier, les machines et ustensiles sont évalués soixante mille livres.

Le 27 juin 1776, le roi prend au comte d’Artois Ruelle et Forge-Neuve et lui donne en échange trois forêts situées en Champagne. La fonderie fut administrée d’abord par des régisseurs, puis par des entrepreneurs; la rente perpétuelle de trois cent soixante-cinq francs fut payée jusqu’en 1790, et à partir de cette époque, les propriétaires de cette rente ne purent jamais se la faire restituer.

La fabrication d’alors était fort simple ; on coulait les canons en première fusion dans des moules en terre, le combustible était du charbon de bois venant surtout de la forêt de Braconne. Les canons étaient fondus tantôt à noyau, tantôt pleins ; et dans ce dernier cas, forcés avec des machines dont M. de Montalembert était l’inventeur.

Bientôt arriva l’époque où la France, menacée par les marines de toute l’Europe, fit ce suprême effort qui la rendit la première nation du monde.

Il lui fallait trouver immédiatement six mille pièces de canons de fonte, et le comité de salut public procéda avec une extrême énergie aux mesures qui devaient rendre possible ce travail gigantesque. Il partagea en quatre arrondissements les hauts-fourneaux et les forges que l’on pouvait utiliser : des représentants du peuple, munis de pleins pouvoirs, firent toutes les réquisitions nécessaires et substituèrent partout le rapide moulage en sable au moulage de terre, trop lent pour les besoins du moment. Des modèles de machines, des Ouvriers intelligents furent envoyés dans les fonderies, et les savants Perrier, Haasenfratz et Monge firent des cours, publièrent des ouvrages sur l’art de fabriquer des canons.

La fonderie de Ruelle fut entièrement renouvelée : deux fours à réverbère, des halles de fonderie, de nouveaux bancs de forerie remplacèrent les anciennes constructions et l’ancien outillage : en 1803, on changea le système de l’entreprise, et Ruelle fut mis en régie. Jusqu’en 1823, on continua à fondre en première fusion, mais à partir de cette époque, on établit une partie des fours à réverbère disposés autour de la salle de fonderie qui existe encore aujourd’hui, et l’on commença une fabrication moins primitive , les canaux et la distribution des cours d’eau furent plusieurs fois modifiés; en 1840, on transporta à Ruelle la fonderie de bronze ainsi que la fonderie qui étaient autrefois établies à Rochefort; un laboratoire de chimie fut installé en 1846. »

Depuis cette époque, les modifications furent continuelles, dans ces dernières années surtout.

En présence de la transformation de l’artillerie de marine, l’usine dut renouveler son outillage pour l’approprier aux nouveaux modèles dont l’adoption était décidée; il lui fallut en même temps agrandir ses ateliers pour faire face à l’énorme extension donnée à sa fabrication. La valeur de la propriété de l’usine , qui était, en 1851, de 1,250,000 fr., dépasse aujourd’hui deux millions. Quant à la valeur mobilière, elle représente la

somme de 2,170,000 francs, tandis qu’elle n’était en 1851 que de 760,000 francs. Enfin, le personnel de la fonderie, qui se composait à cette même époque de 126 personnes, comprend aujourd’hui 350 ouvriers.

Ces quelques chiffres suffiront pour donner un aperçu de l’accroissement d’importance qu’a  pris dans toutes ses parties ce bel établissement, dont les progrès sont si intimement liés à la prospérité de notre marine militaire.

Les développements qui précèdent nous ont entraînés trop loin pour que nous puissions aborder aujourd’hui la partie descriptive de notre travail. Nous avons à rendre compte des différentes opérations qui s’exécutent à Ruelle, depuis le moulage des pièces de canon et la fonte jusqu’aux derniers travaux d’ajustage après lesquels la bouche à feu sort de l’usine. — C’est ce que nous ferons dans un prochain article.

BIELLE. 1869

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