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La Canonnière Farcy

PARIS. — Exposition des Arts industriels. — La légende de Saint-Hubert. Vitrail de M. Ch. Desgranges.

La Canonnière Farcy. PARIS. — Exposition des Arts industriels. — La légende de Saint-Hubert. Vitrail de M. Ch. Desgranges.

L’illustration s’est appliquée à tenir ses lecteurs au courant des transformations multiples que la vapeur et les constructions en fer ont successive ment fait subir à la marine; elle ne pouvait donc oublier d’accorder une attention toute particulière à la canonnière de M. Farcy, lieutenant de vaisseau, qui a poussé le système des canonnières à un degré de perfection tel, que le génie maritime ne pourra guère le surpasser à l’avenir.
Le dessin que nous publions présente à nos lecteurs l’aspect de ce nouvel engin de guerre. Mais nous devons naturellement ajouter ici une analyse détaillée des avantages qu’offre cette canonnière, au point de vue de la construction, de la navigation, de la puissance et de l’économie.
Voici comment le problème a été résolu. La canonnière de M. Farcy, construite dans les ateliers de M. Claparède, à Saint-Denis, a la forme d’un sabot de seize mètres de longueur, construit en tôle de 3 millimètres. Son tirant d’eau est d’un mètre, le poids du canon est de 15,000 kil., l’affut et le châssis du canon 7,000 kil.; elle a deux machines à pilon, deux hélices et sa force est de dix chevaux. Son personnel est de huit hommes seulement.
Ainsi construite, la canonnière navigue avec une vitesse de 6 à 7 noeuds dans les plus heureuses conditions. D’après les formes de sa carène, la stabilité est telle, que l’on peut tenir la mer par forte brise avec un canon du poids de 22,000 kilos, à un pied au dessus du centre de gravité du navire, sans avoir aucun lest dans la cale. Les autres navires ont du roulis très-fort, même avec du lest à fond de cale.
Avec le système de construction de M. Farcy, il serait possible de naviguer à bord des navires de commerce, sans prendre de lest-volant pour la traversée de retour, après avoir débarqué le chargement.

Il serait également possible de diminuer le tirant d’eau des gros navires de commerce, qui pourraient ainsi entrer plus facilement dans les ports à marée basse. Le fond plat de la carène permet d’échouer les navires sans danger de chavirer. La puissance de la canonnière est-elle en rapport avec les avantages de la construction et de la solidité en mer ? Les faits vont répondre. La canonnière porte un canon qui se Charge avec 24 kilos de poudre et qui lance un boulet de 300 livres!
Une frégate cuirassée trouée par un seul de ces boulets serait mise hors de combat. Certes, il pouvait paraître impossible de faire supporter à une aussi frêle construction une pièce de canon du plus fort calibre , mais l’expérience a prouvé, non seulement que la canonnière remplissait largement ce dernier but, mais encore que l’ébranle ment causé par le tir de la pièce ne lui causait aucune fatigue apparente, et qu’elle se comportait parfaitement à la mer, sans perdre aucun de ses avantages.
rA Si l’on songe maintenant qu’à une distance de 600 mètres un projectile lancé par ce canon perce des cuirasses de 15 centimètres d’épaisseur, on comprendra aisément que, dans un combat, tout l’avantage sera pour la petite canonnière, disparaissant presque entièrement sous l’eau et offrant à son adversaire presque découvert un point devenir presque insaisissable. – Cette dernière considération nous conduit à une dernière et importante question, celle de l’économie et de l’utilité que les puissances de deuxième et troisième ordre peuvent tirer de la nouvelle canonnière. On sait de quels énormes sacrifices les frégates cuirassées grèvent notre budget de la marine. Un”bâtiment cuirassé coûte jusqu’à douze millions. Or, comme la canonnière de M. Farcy ne coûte que 30,000 fr., on pourrait donc, avec le prix d’une seule frégate cuirassée, organiser une immense flotte de 400 canonnières armées d’un canon pouvant, dans les eaux les plus basses, produire d’épouvantables ravages.
On voit qu’indépendamment de la question économique, la canonnière nouvelle arrive a soulever des questions de l’ordre politique le plus élevé. Les Danois, les Suédois, les Grecs, toutes les petites puissances qui n’ont pas les ressources nécessaires pour construire des flottes cuirassées, pourront avec le nouveau système de canonnières, défendre a peu de frais leur territoire. Qu’auraient fait les Espagnols si les Chiliens avaient eu trois ou quatre canonnières Farcy pour couler les frégates espagnoles? Les Grecs n’auraient-ils pas été en mesure de faire lever le blocus de la flotte turque, si de nouveaux Canaris avaient pu mettre leur pavillon sur le nouvel engin de guerre ?
Notons en terminant que la canonnière n’est pas comme beaucoup des innovations de nos jours, à l’état de projet.

La canonnière existe; elle a fait des expériences sur la Seine, en présence de l’Empereur, accompagné du maréchal Niel, de l’amiral Rigault de Genouilly et du général de Béville, et toutes les manoeuvres de la canonnière ont été exécutées de manière a donner pleine et entière satisfaction à tous les intérêts engagés. Les expériences se sont renouvelées a différentes reprises dans la mer de la Manche, et toujours avec le même succès. L’épreuve faite surtout à Cherbourg, en pleine tempête, a été décisive. On peut donc conclure des faits que nous venons d’exposer que nous touchons à une nouvelle transformation de notre marine, qui aurait pour le pays un double résultat, celui d’accroître nos forces navales en diminuant nos dépenses.
LÉON CREIL.

 

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