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Les alliés à Salonique. Documents de la Section photographique de l’Armée française (fascicule 3) Images de la première guerre mondiale 1914-1918

DE toutes les surprises causees par la guerre, le rôle joué par Salonique est peut-être la plus grande. Qui eût dit à nos soldats, alors qu’ils préparaient en silence la résistance autour de Verdun, de T oui, d’Epinal et de Belfort, que ces forteresses, sauf Verdun, demeureraient passives dans l’immense conflit et que, loin, bien loin, au fond d’un golfe de la mer Egée, pourrait se jouer la partie suprême. Cela est cependant : en vue de !’Olympe neigeux, séjour des Dieux antiques, se prépare peut-être une bataille dont les contre-coups seront d’une incommensurable portée, autant que le fut la chute de Byzance.
Rappelons comment une armée anglo-française est venue s’installer à Salonique et a transformé la grande cité macédonienne en camp retranché.
La Serbie qui, depuis le mois d’août 1914, avait résisté aux Autrichiens et, après des échecs douloureux, était parvenue à infliger une éclatante défaite à l’ennemi en lui reprenant Belgrade, en le chassant complètement du territoire, paraissait pouvoir respirer, panser ses blessures, commencer à relever les ruines causées par la plus injuste des agressions. Mais la Bulgarie, poussée par la haine, la soif de vengance, ses désirs de conquête, s’alliait avec l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, se prononçant ainsi contre les puissances occidentales et la Russie. Le petit royaume serbe allait subir un formidable assaut destiné à le submerger. Sous l’impulsion de la France, les Alliés décidaient de lui venir en aide.
Autorisés par M. Venizelos, que son souverain devait désavouer et congédier, Français et Anglais faisaient choix de Salonique comme base d’opérations. Dans les premiers jours d’octobre, des troupes y débarquaient ; les Français, de beaucoup les plus nombreux, sous les ordres du général Sarrail.
A partir du 15, les éléments ainsi réunis commençaient à se diriger vers la Serbie. Vers le 20, des corps alliés qui remontaient le Vardar atteignaient Krivolak, franchissaient le fleuve et avaient une première rencontre avec des forces bulgares près de Rabrovo.
Au fur et à mesure que les contingents arrivaient par l’unique chemin de fer – à une seule voie – ils entraient en ligne, repoussaient les Bulgares et parvenaient ainsi, les premiers jours de novembre, dans la région de V eles, sans atteindre jusqu’à cette petite ville serbe, que nos alliés avaient évacuée pour se porter à l’est, dans la direction de Monastir. Des combats nombreux furent livrés sur le Vardar et son affiuent la Cema, qui forma la : ligne de défense des Français dans leurs tentatives pour se relier aux Serbes vers le col de Babouna qui donne acces a Prilep et à Monastir.
Cette jonction ne put s’opérer : les Serbes, menacés à la fois par les Bulgares à l’est, par les Autrichiens au nord, devaient se
replier sur l’Albanie en un lamentable exode. Les Anglo-Français n’avaient plus aucune raison pour remonter le Vardar, que les Bulgares tenaient dans son cours supérieur, où allaient déboucher des Austro-Allemands venus les uns de Mitrovitza, les autres de Nisch. La retraite fut donc décidée; elle s’opéra d’une façon admirable : nos troupes, sans cesse attaquées, prirent des dispositions si habiles, eurent tant de mordant, leur artillerie fut si bien servie, que leurs pertes furent légères, tandis que celles des Bulgares étaient très lourdes.
Notre armée, alors petite, dut refaire la route marquée par ses succès de Krivolak et de Demir-Kapou; les éléments qui avaient atteint la frontière bulgare, dans la direction de Stroumitza, se replièrent avec la même sûreté. Seuls, les Anglais furent un moment en danger près de Doiran ; un rude combat, dans lequel ils perdirent 1.500 hommes – bien moins toutefois que les Bulgares – leur permit de se dégager. Puis leur retraite,
comme la nôtre, s’effectua facilement jusqu’à la frontière grecque, où la poursuite bulgare s’arrêta.
Les troupes alliées, avec tous leurs convois, purent atteindre la banlieue de Salonique, s’y installer et entreprendre la construction des tranchées et des autres ouvrages qui en font un camp retranché formidable.
Telle est, brièvement résumée, l’expédition que la fatigue de l’armée serbe, privée de son artillerie, depourvue de munitions et de
vivres, rendit inutile. Elle a montré, une fois de plus, les merveilleusesqualités de nos soldats et prouvé aux Bulgares qu’ils n’auraient pas aussi facilement raison d’eux que des Turcs. Il était utile de rappeler ces événements avant de présenter les photographies qui font connaître la vie de nos soldats dans le grand port égéen et la vallée du Vardar

SALONIQUE

La ville, dont la possession a été si âprement disputée entre les États balkaniques est, pour l’Europe centrale, d’une importance capitale. Elle assurerait au monde germanique le commerce de l’Asie et le rapprocherait de cette porte des Indes et de l’Afrique orientale qu’est le canal de Suez. Située au fond d’un golfe pénétrant au loin dans les terres, bien protégé, aux eaux profondes, où des flottes entières peuvent s’abriter, elle est une des plus anciennes et illustres cités de l’ancien monde. Malgré le régime turc si contraire à tout développement économique, elle était restée une grande et populeuse ville, dotée d’un port digne de ce nom. Un chemin de fer la relie a Belgrade et à toute l’Europe centrale, un autre à Constantinople, une troisième ligne, moins importante, conduit à Monastir; elle allait être rattachée par une quatrième à Athènes. Aucune métropole de l’Orient méditerranéen ne pouvait esperer un si grand avenir. Mais si Salonique est un grand port, il n’a pas de ressources propres. Il faut tout tirer des contrées d’ou viennent l~ oupes :
hommes, chevaux, vivres, comme les armes et les mumhons. On a dû tout amener par la voie de mer ; le vaste golfe a pns soudain une animation qu’il n’avait jamais connue. Nos photographies (Pl. I a IV) montrent ~ette mise en .route ~u corps expéditionnaire, la vie à bord, l’~vée devant la .”1lle, puis. la nuse à terre des régiments et des subsistances, des cere~lcs qui sero~t réduites en farine sur place, des fourrages. q~e . 1 on ~e saura~t trouver dans cette contrée négligée, que serait s1 nche si elle etait mise sérieusement en valeur

LES CAMPS

Malgré l’étendue de la ville, on ne pouvait son~er à cantonner les troupes sans causer une considérable à la population et sans exposer les soldats au.x maladies. Aussi a-t-il fallu édifier des camps aux abords de la ville, les relier par des routes, y amener l’eau potable. Nous avons installé nos troupes dans un coin de banlieue à l’ouest, appelé Zeitenlik (Pl. V) ; les Anglais sont plus loin ; un autre camp fut plus tard organisé pour les Serbes. La ville elle-même ne vit guère les soldats alliés, maintenus dans les camps dont l’organisation demandait d’ailleurs un travail constant.

LA MARCHE EN SERBIE

Au début, ces c8:mJ?s de tentes devaient etre provisoires, puisque l’année avait pour objectif la penétration en Serbie. Celle-ci fut entreprise dès que les effectifs furent assez nombreux. C’était une opération assez difficile, car le chemin de fer de Belgrade est à une seule voie, d’un profil accidenté, et ne possède qu’un matériel restreint, encore réduit par la mauvaise volonté du gouvernement grec. Les convois à eux seuls demandaient une grande quantité de trains. Aussi le transport des troupes à la frontière exigea-t-il beaucoup de temps. Elles débarquèrent à une station dite Stroumitza (Pl. VII), du nom de la ville bulgare située de l’autre côté d’un chaînon de montagnes assez élevêes, sur lequel allaient se livrer des combats sérieux. Des campements y furent installés. En même temps, des colonnes continuaient la marche au long du Vardar, coulant au fond de gorges étroites, profondes et sauvages jusqu’à Demir-Kapou.
Ces premières marches amenaient les Français à Krivolak (Pl. IX et X), bourg bâti dans une boucle très prononcée du fleuve, que le repli du Vardar transforme en forteresse semblable à un oppidum antique. Nous y étions bientôt fortement installés et en état de supporter les attaques des Bulgares, lesquelles furent parfois d’un acharnement extrême. Notre occupation s’étendit à une petite ville voisine, Negotin (Pl. XII), dont la valeur militaire était moindre, mais qui offrait des ressources pour le cantonnement. Negotin et Krivolak restèrent occupées pendant la marche vers la Cerna. L’ennemi tenta plusieurs fois de s’en emparer, il fut toujours repoussé; le chemin de fer restant libre, le ravitaillement fut assuré.
A l’ouest de Negotin, nos lignes s’étendaient jusqu’au village de Kavadar (Pl. Xlll à XV), dans la petite vallée de V elika. On avait établi des magasins, sur ce point, et créé un centre de ravitaillement et de commandement. Dès que la retraite fut décidée, l’évacuation se prépara avec l’ordre et la méthode les plus parfaits, ordre et méthode qui allaient régner jusqu’à l’arrivée à Salonique.

LA RETRAITE

r évacuation du territoire serbe eut lieu avec un soin tel que rie.n ne fut abandonné : on reprit jusqu’aux fils télégraphiques, afin den enlever l’usage à l’ennemi. Les régiments refirent la marche, en s~ns inverse cette fois, avec la même allure que lorsqu ils se portaient en avant. Les bandes de comitadjis, quelque chose de nos francs-tireurs de 1870, mais avec des moeurs et des cruautés de bandits, n’osèrent pas nous inquiéter; d’ailleurs, grâce aux gmdes serbes, on avait pu arrêter beaucoup de ces massacreurs.
Dans la population serbe bien des Bulgares, des Grecs ou des Tures sont mélangés, c’est ce qui explique comment des femmes cherchaient à porter secours, par des vivres ou des munitions, à ces comitadjis (Pl. XV) confiés aux soins de la prévôté.
La retraite ne laissa donc rien à l’ennemi ; le chemin de fer, qui suit le Vardar au sein du couloir qu’il s’est frayé, fut méthodiquement détruit ; on enlevait rails et traverses, on faisait sauter les ponts, s’effondrer les tunnels. La route parallèle était également mise hors de service. Ainsi accumulant les obstacles devant les Bulgares qui, d’ailleurs, ne s’exposaient pas trop ardemment à notre feu, nos troupes atteignirent, le 7 décembre, Demir-Kapou (Pl. XVI) où la gorge se fait plus étroite encore.
La longue colonne dont le chemin de fer emmenait les impedimenta, les blessés, ainsi que des réfugiés serbes et des prisonniers bulgares, descendit le Vardar, toujours dans le même ordre.
Le 8, nous étions à Gradec où nous commencions à rejoindre les éléments venus de la frontière bulgare de Stroumitza. De ce côté il y eut lutte, au-delà de Gradec, sur la rivière Bojimia.
Le 10, les Bulgares prononcèrent une attaque furieuse qui fut repoussée; l’ennemi éprouva des pertes terribles; ce même jour, les Anglais durent supporter, près de Doiran, le sanglant combat dont nous parlons plus haut.
Le 11, la lutte continuait. Une marche nocturne, habile et hardie, nous permit d’atteindre Guevguéli. Notre plan~he XVII représente l’arrivée d’un régiment ayant brûlé la politesse aux Bulgares. Guevguéli est en face d’une plaine étendue sur la rive gauche du Vardar, à la frontière même que l’ennemi ne voulait pas franchir, qu’il n’a pas franchie encore, bien que ~uevguéh, ville serbe, ait été occupée après notre départ. Là affiua1ent les Ser~es fuyant devant les comitadjis et les réguliers b~lgare~, ?on ~oms odieux que les bandes, se livrant de même au pillage, a l ass~ssmat, aux tortures. Guevguéli, pour ces pauvres Serbes, marquait l~. fin de leurs souffrances les plus cruelles. De l’autre côté de la frontiere, ils trouvaient la sécurité, en même temps que l’ai~~ fraternelle .des
soldats français et anglais. Les seuls Bulgares qu ils rencontraient désormais étaient les prisonniers faits par nous dans les combats.

LE CAMP RETRANCHÉ  DE SALONIQUE

Salonique ce fut Therma, un port de Philippe et d’Alexandre de Macédoine, devenu Thessalonique, du nom de la soeur du conquérant; ce fut une ville romaine, puis byzantine, franque et vénitienne, enfin ottomane au xve siècle. Cité plutôt juive d’ailleurs, les israëlites chassés d’Espagne y ont fait souche et composent aujourd’hui la moitié de la population qui atteint presde 150.000 âmes.
Salonique n’est grecque que depuis 1912, à la suite d’un combat entre Bulgares et Hellènes se disputant cette riche dépouille de la Turquie. Elle redeviendrait bulgare sans la présence des Alliés, bulgare ou plutôt allemande, les appétits germaniques pour cette perle maritime de l’Orient étant toujours aussi ardents.
Perle au point de vue économique, car, de même que la plupart des villes de l’Orient, Salonique est aussi pittoresque que mal tenue au point de vue de la vicinalité et de l’hygiène. De loin, avec ses minarets, la mer de ses toits et ses vieux remparts, Salonique fait une impression profonde. Nos photographies permettent de se rendre compte de l’aspect de cette fourmilière cosmopolite, où la population de Juifs, d’Hellènes, de Slaves, de Koutzo-Valaques (Roumains) a été étonnamment complétée par les éléments si divers de l’armée franco-britannique. Les Français ont, outre leurs troupes de la métropole, des Arabes et des Kabyles d’Algérie et de Tunisie, des Marocains, des nègre:; du Soudan, des créoles des Antilles. Les Anglais ont amené les Ecossais vêtus du kilt, les Australiens, les Néo-Zélandais, les contingents de races si variées tirés des Indes. Et les Serbes qui, peu à peu, rejoignent les Alliés, ainsi que les Monténégrins, accroissent le nombre des Slaves. Dans cette ville, où tant d’échantillons de l’humanité se pressent, le cadre n’est pas moins curieux que la foule : antique porte triomphale dite arc d’Alexandre (Pl. X IX), donjon médiéval de la Tour Blanche couronné de créneaux et de machicoulis (PI. XXII 1), mosquées, églises byzantines et synagogues, souks ou marches qui sont une joie pour les yeux sinon pour l’odorat (PI. XX) : tout l’Orient avec le modernisme aigu des cinémas qui abondent.
Le port tient une grande place dans cet album, place méritée, car il est la fortune et la raison d’être de la ville; c’est l’oeuvre d’ingénieurs français (Pl. XXII à XXIV). lls ont établi 1.200 mètres de quais où n’était qu’une marine accessible seulement aux petits navires. Ces quais présentent au pied une profondeur de 8 à l O mètres permettant aux grands paquebots d’accoster.
Des grues, des voies ferrees constitue~t un ~utillage grandement amélioré par les Alliés. Grâce à ces mstalla~on: les troupes, les canons, les automobiles, les chevaux, le bétail, 1 enorme matend nécessaire à l’armée sont rapidement débarqués. C’est ce qui donne à notre occupation une sécurité d’autant plus. absolue que les navires de guerre, réunis dans le vaste golfe, tiennent sous leurs canons la partie la plus menacée du camp retranche, le secteur occidental où débouchent route et voie ferrée de Monastir.
ARDOUIN-DUMAZET

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